Livret d'Ouvrier

Les photos de cette page sont des documents authentiques
d’un Livret d’Ouvrier du XIXème siècle.

Un petit mot d'abord sur "les Maçons de la Creuse"

Ces travailleurs ont été célébrés dans la chanson du même nom, écrite entre 1855 et 1860 par Jean PETIT dit Jan dau Boueix (1810-1880), dont voici un petit extrait :

(oui, c’est court, mais c’est du Jean SEGUREL, quand même !)

Ci-dessous les paroles originelles  :

On a fait des chansons
De toutes les manières
Sur les joyeux garçons,
Les guerriers, les bergers.
Pour ne pas répéter
Une chose ennuyeuse,
Amis, je vais chanter
Les maçons de la Creuse.

 

Quand revient le printemps,
Ils quittent leur chaumières,
Laissant leurs grands-parents,
Leurs enfants et leur mère.
Cachant leur désespoir,
Les filles amoureuses,
S’en vont dire « au revoir »,
Aux maçons de la Creuse.

 

Les voilà tous partis,
Pour faire leur campagne,
On les voit à Paris,
En Bourgogne en Champagne,
Ils vont porter ailleurs,
Leur vie aventureuse,
Ce sont des travailleurs,
Les maçons de la Creuse.

 

Tous les chemins de fer
Qui traversent la France,
Et tous les ports de mer,
Ont connu leur souffrance,
Les canaux et les ponts,
De la Seine à la Meuse,
Pourraient citer les noms
Des maçons de la Creuse.

Voyez le Panthéon,
Voyez les Tuileries,
Le Louvre et l’Odéon,
Notre-Dame jolie,
De tous ces monuments,
La France est orgueilleuse,
Elle en doit l’agrément,
Aux maçons de la Creuse.

 

Au retour de l’hiver,
Ils sont près de leurs belles,
Les souffrances d’hier,
S’oublient vite près d’elles,
Et toute une saison,
Les filles sont joyeuses,
D’avoir à la maison,
Un maçon de la Creuse.

 

L’auteur de la chanson,
N’est pas un grand poète,
C’est un garçon maçon,
Buvant sa chopinette,
Sans envier autrui,
Sa vie s’écoule heureuse,
Ils sont tous comme lui,
Les maçons de la Creuse.

 

 

 

« Maçons »… oui, mais pas seulement.

Jusqu’au début du XXe siècle, de toutes les communes du département de la Creuse, beaucoup d’hommes partaient, dès la fin du plus rude de l’hiver, vers les grandes villes de France ou les grands chantiers du bâtiment et des travaux publics pour se faire embaucher comme maçon, charpentier, couvreur, tailleur de pierres… « Maçons de la Creuse » est l’expression la plus souvent employée, car la Creuse est le département où ce phénomène migratoire fut, de loin, le plus important.
Au XIXe siècle, apogée de la « migration maçonnante » qui compte jusqu’à 35 000 hommes, ils travaillent notamment à la construction du Paris du préfet Rambuteau puis du baron Haussmann. Après la Première Guerre mondiale, la dernière génération de maçons de la Creuse travaille activement à la reconstruction des villes sinistrées comme Reims, Saint-Quentin, Soissons, Epernay.

[Source : Wikipedia]

A voir absolument : le site des Maçons de la Creuse, particulièrement riche.

Vous y trouverez un début de recensement des travailleurs migrants de la Creuse
Cette page sur l’histoire : http://www.lesmaconsdelacreuse.fr/un-peu-d-histoire/.

 

Silvain, ouvrier charpentier

Comme de nombreux autres « paysans-bâtisseurs », mon arrière-grand-père Silvain (1835 – 1878) quittait Fresselines et sa famille vers le mois de mars et partait vers le nord, Paris souvent mais aussi des villes de l’Yonne, de l’Eure et Loir, par exemple, pour s’y faire embaucher comme ouvrier charpentier.

Nous n’avons pas retrouvé d’indices sur les moyens de transport utilisés : très probablement à pied pour au moins une grande partie du trajet.

D’autres familles de Fresselines envoyaient régulièrement des ouvriers maçons ou charpentiers.

 
Voici les villes dans lesquelles il a travaillé entre 1861 et 1876.

Ces renseignements sont tirés de son Livret d’Ouvrier
(nous en avons retrouvé un seul, rempli jusqu’à la dernière page, mais il a pu en avoir d’autres).

AnnéeVisa mairie de FresselinesVilleDépartementEntré leSorti le
186122-févrierFleurignyYonne24-février1er mai
186105-maiFleurignyYonne08-mai31-août
186214-marsFleurignyYonne18-mars18-août
186327-marsSancerguesCher31-mars21-juin
1863BaugyCher23-juin22-novembre
186426-marsParis06-avril31-mai
Etampes28-mai05-juin
Ste Geneviève des Bois20-juillet26 septembre (?)
186503-avrilParis06-avril08-juin
Paris14-juin1er novembre
186621-marsParis27-mars04-janvier-1867
186728-marsFerrièresLoiret22-mai09-juin
ChateaurenardLoiret14-juin27-juillet
187011-mars
05-avrilFerrièresLoiret11-mai09-juin
1872SouppesSeine & Marne04-août1er novembre
187313-marsThorignyYonne18-mars22-novembre
187403-avrilMeslay-le-VidammeEure & Loir27-avril20-octobre
187511-mai
187605-avril

Le Livret d'Ouvrier

La loi obligeait Silvain, pour se déplacer, à posséder un Livret d’Ouvrier en règle.

Le Livret d’Ouvrier apparaît en 1803 afin de « domestiquer le nomadisme des ouvriers ».
Tout ouvrier qui voyage sans être muni de ce livret est réputé vagabond, et peut être arrêté et puni comme tel.
Le livret d’ouvrier comporte aussi un rappel de l’interdiction des coalitions d’ouvriers.
Le délit de coalition est aboli le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, mais le livret d’ouvrier est obligatoire jusqu’en 1890, et certains seront encore délivrés en 1908.
[source : Wikipedia]

Voici le Livret d’Ouvrier de Silvain

Les premières pages, visées par la Mairie de Fresselines, donnaient une description physique de l’ouvrier : son signalement.

Son Livret d’Ouvrier était protégé, roulé, dans ce curieux étui métallique, qu’il portait probablement à la ceinture.

Avant de quitter Fresselines, il devait faire viser son Livret d’Ouvrier par le Maire ou son Adjoint, qui inscrivait la destination indiquée par l’ouvrier.

 

Son employeur devait également y inscrire certains renseignements : date d’arrivée sur le chantier, date de départ, souvent suivis d’un commentaire sur cet ouvrier.

 

La signature du maître-charpentier devait parfois être authentifiée par le Commissaire de Police du quartier.

Son fils Alexis (mon grand-père), né en 1874, a suivi la même voie et était également ouvrier charpentier.

Lui aussi possédait son Livret d’Ouvrier, établi en 1892 (il avait donc 18 ans), mais seules les premières pages comportant son signalement ont été remplies : le Livret d’Ouvrier n’était plus obligatoire.

Alexis au centre, vers 1900

La loi n’interdit plus les « coalitions » d’ouvriers.

Alexis peut s’inscrire à l’Union des Ouvriers Charpentiers.

Il participe à la Grève de 1907.

MAJ 10/03/2022